AILLEURS

Publié le 2 Juin 2013

                                                        

Monologue. (3 à 4 mn)

 

Une femme face public allongée à 45 °sur une planche, le corps immobile. Les cheveux défaits. Les vêtements en désordre. Un œil au beurre noir. Elle peut bouger les bras et se toucher le visage.

 

Je me sens calme maintenant. Ca va beaucoup mieux… J’arrive à respirer. Les coups de butoir dans ma tête. Ils s’espacent. Oui. Ils s’éloignent. Il y a juste mon œil gauche. Elle se touche l’œil. Là, c’est plus difficile. Ca se complique. Je vois trouble. Un mélange de couleurs ou dominent le rouge et le noir. Le carrelage. C’est froid dans mon dos. Les images me reviennent en flot. Non. Il ne faut pas. Ca fait mal. Il faut tout oublier. Il n’y a que ça à faire. Devenir amnésique. Mais la prochaine fois, ce sera pire. La prochaine fois, ce sera peut-être la dernière. Depuis combien de temps suis-je allongée là. Sur le carrelage de la cuisine. Je suis seule. Il m’a laissée ainsi. Il est parti en attendant que je reprenne mes esprits. En attendant que je me relève. Comme à chaque fois. Mais je ne veux pas. Pourquoi faire. J’ai envie de mourir. A quoi bon s’accrocher, se battre. Je suis trop faible. Il aimerait que je crie. Ca lui ferait plaisir. Peut-être qu’il taperait moins fort… Ce n’est pas sûr. Mais de toute façon, je ne peux pas. Je n’arrive pas à crier. J’encaisse en silence et ça, je le sais. Il ne supporte pas. Parce que lui, s’il recevait le dixième, il beuglerait. Alors, il perd le contrôle. Il frappe. C’est un trouillard. Et moi. Pourquoi je ne dis rien ? Oui, bien sûr… Personne ne comprend. C’est aussi de ma faute. Il ne faut pas rester. C’est ce qu’on dit. Bien sûr. Il y a des centres pour ça. Ca parait facile…De l’extérieur. C’est toujours ceux qui ne risquent rien, ceux sur qui personne n’a jamais élevé le petit doigt qui savent ce qu’il faut faire. Je les entends. Derrière mon dos, ils murmurent. Si elle reste avec lui, quelque part c’est parce qu’elle aime ça. Elle est maso. C’est vrai, je le reconnais. J’aimais les hommes forts, virils. Je croyais naïvement qu’avec eux, rien ne pouvait m’arriver. La sécurité. La protection. Maintenant, je sais que la force d’un homme c’est sa plus grande faiblesse. Que la violence nait de la peur de l’autre. De l’angoisse d’être découvert, d’être mis à nu. Pourquoi les mères ne nous apprennent-elles pas cela ? Pourquoi se taisent-elles ? Maman ne m’a jamais parlé de mon père. Mes questions restaient sans réponse. Les silences. Les non dit. Parler c’est réouvrir une plaie mal cicatrisée. Si je porte plainte, il me tue. Il me l’a dit. Ils ne le garderont pas. Il sera libre et il me fera la peau. Les flics, c’est tous des machos. Ils condamnent le fait parce que c’est la loi mais ils font plus ou moins la même chose chez eux. Alors, entre hommes, on se soutient.

Il faudrait que je disparaisse…Avec le petit. Tous les deux. Mon fils…C’est le moment d’utiliser tes supers pouvoirs. Hop ! Dans une autre galaxie. Un ciel bleu, des champs de fleurs exotiques, une eau pure et des chansons d’amour. Uniquement nous deux. Elle ferme les yeux et sourit. Mon bébé. C’est merveilleux…C’est merveilleux. Elle rouvre les yeux.

Le carrelage… C’est froid dans mon dos. Je ne peux plus bouger. Je suis calme. Je n’ai plus peur. Je suis sereine. Je suis ailleurs…Il va me trouver là. J’irai à l’hôpital pour la dernière fois. Oui, pour la dernière fois. Je ne reviendrai pas. Mon amour, mon petit, ne crains rien. Je t’emmène avec moi. Et lui quand il comprendra, il pleurera. Il pleurera.

 

 

 

 

Rédigé par sophie aguillé

Publié dans #sketchs

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B
Un texte fort. Dans une autre vie, j'ai fait partie d'une association qui aidait entre autre les femmes victimes de ces enfoirés qui ne méritent même pas le nom d'hommes. Très difficile pour<br /> certaines de quitter ces bourreaux qu'elles prétendaient aimer. Mystère et incompréhension de l'entourage. Au fait ! On peut être un homme fort et viril sans se croire obliger de tabasser sa<br /> compagne. Merci pour ce texte.
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V
Un récit prenant dans lequel on plonge pour ne pas en ressortir avant la fin.
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